Jean-Chrétien EKAMBO Duasenge

Esquisse d'une Épistémologie des sciences de l'information et de la communication

Présentation par Dominique MWEZE Chirhulwire Nkingi
Professeur Ordinaire. Communicologue et Philosophe
Doyen Honoraire de la Faculté des Communications Sociale

L’efflorescence des théories et méthodes en sciences de l’information et de communication depuis les années 1950 donne à penser. L’on a certes répertorié les échafaudages théoriques  et les noms marquants en les périodisant, plus ou moins, mais sans les désensorceler en les soumettant à une véritable cure de désintoxication.  Les communicologues ont perdu de vue que la mise à l’examen des paradigmes heuristiques était la tâche la plus urgente si l’on veut conférer un statut épistémologique stable aux sciences de l’information et de communication (SIC). Des efforts d’unification de ces sciences émiettées et vagabondes se sont succédés . Le souci était de trouver une science archétypale autour de laquelle elles se construiraient. L’histoire  se souvient des efforts du père du structuralisme, Claude Lévi-Strauss dans son « anthropologie structurale »  ; des tâtonnements de Roman Jakobson, du sémioticien Umberto Eco et Margaret Mead et tant d’autres. Regrouper ces sciences interdisciplinaires est une chose ; soumettre leurs présupposés méthodologiques et leurs epistemê au crible de la critique tout en exhumant les idéologies sous-jacentes, en est une autre. C’est ce dernier risque que le  Professeur J.C. Ekambo vient de prendre en offrant à la Communauté argumentative un livre intitulé « Paradigmes de communication ». Ce livre, que nous avons l’honneur de présenter au cours de ce Colloque International sur la Bibliologie, est une esquisse des paradigmes dominants qui se sont imposés au cours de l’histoire des SIC bousculant sans pitié les plus faibles, et ce, dans un contexte de concurrence théorique et de lutte sans merci. L’auteur entend revisiter et évaluer  les conditions d’émergence des théories et de modèles ainsi que les écologies diverses y associées. Plus qu’une simple récension, c’est une épistémologie qui pose le problème du contexte d’émergence de ces théories et méthodes. Il entend les vérifier, valider/invalider par les biais des mathématiques ; il entend rendre compte de leur genèse, de leur évolution, de leur succession dans l’espace et le temps. L’ossature du livre est tripartite : 3 paradigmes qui sont autant de chapitres : Le paradigme linéaire, le paradigme de la circularité et le paradigme de l’hypertextualité. Chacun de ces chapitres est  divisé en trois sections :  (i) écologie (générale, idéelle et technologique) ; (ii) fondement épistémologique (principes, hypothèse générale, formulation mathématique) ; (iii) option méthodologique. Une bibliographie indicative (9 pages), une table des figures mathématiques (1 pages), une table de équations mathématiques (1 page)  et un index d’auteurs (3 pages) closent l’ouvrage. Suivons pas à pas l’itinéraire de l’auteur à travers ces trois paradigmes.
Chap. I. PARADIGME DE LA LINEARITE (30 pages/135, soit 22,22%)
Idée maîtresse : « Tout discours n’est pas linéaire »
L’écologie sociale de ce paradigme est caractérisé par les grands bouleversements socio-économiques des années 1910-1940 : essor industriel, création des sociétés à capitaux, déruralisation, paupérisation, massification, atomisation de l’individu, déstructuration des relations primaires… Les études sur la communication des années 1940 puiseront aux sources de l’écologie idéelle de l’heure  et en porteront les stigmates: C’est l’époque où la société ou mieux, les faits sociaux devient objet d’étude. On assiste à la naissance de la sociologie (Auguste Comte, Durkheim), du fonctionnalisme (Malinowski). L'écologie technologique sera principalement médiatique : la presse écrite se développe dans un contexte économique particulier. Elle s’adapte à l’homme nouveau créé par cette nouvelle société. « Le journal devient ainsi un outil de reliance entre le sociétal et l’individu atomisé » (p. 38). La radiodiffusion constituera un champ de recherche privilégié à la fin du 18ème siècle. Avec  la radiotéléphonie et la télégraphie, la radiophonie s’impose comme un puissant outil, omniprésent et aux effets incalculables. Elle devient le  « dispensateur universel de distraction et de l’information », selon  l’expression de Judith Lazar (p. 40-41). La télévision va se positionner face à la radio. Elle crée un type d’homme nouveau : l’homo videns (p. 43). Le fondement épistémologique de ce paradigme de linéarité, soutient l’auteur, repose sur deux principes :
(1) La communication est téléonomique : l’acte de communiquer met les partenaires en position d’inégalité (au niveau de la diffusion). L’auteur résume ce principe comme suit : « La diffusion est linéarité, la linéarité est inégalité » (p. 45).
(2) La communication est atomistique : dans ce contexte, l’individu sera conçu dans une prisme monadique inspirée du philosophe allemand Von LEIBNIZ. Les partenaires de la communication ne sont que « des unités achevées, irréductibles et autonomes » (p. 45-46). Les études qui découleront de cette vision placeront l’homme sur un piédestal consumériste : « C’est l’homme seul, l’individu consommateur isolé que recherchent les promoteurs de la communication de masse » (p. 47).
L’hypothèse de ce paradigme, selon l’auteur, est la linéarité entendue comme une transmission intégrale du contenu de l’émetteur et du récepteur. Le type de communication qui en résulte vise à « inculquer au consommateur la totalité du message concocté à son intention par le producteur » (p. 48). Le Pr. EKAMBO entreprend une formulation de cet epistemê à partir de la représentation mathématique de l’information développée par Claude SHANNON et Warren WEAVER. Il l’explicite par une esquisse géométrique avec 5 cas de figure (autant d’éventualités). L’option méthodologique issue de ce paradigme, soutient l’auteur, est l’analytique comme mode d’approche et d’observation du réel. Les différents éléments de communication sont séparément étudiés comme objets modulaires. Cette approche heuristique a la fâcheuse qualité de se passer d’autres facteurs pourtant soulevés par les 5 W ou 5 Q de Harold Laswell. Au total, conclut l’auteur, le paradigme de linéarité est pauvre et clos. Il ne peut expliquer avec pertinence le fait communicationnel.

Jacques Hellemans, Secrétaire général de l'AIB

Mise à jour : 23.05.2023